Depuis 2011, la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne détecte et valorise les auteures en Bretagne de 1801 à nos jours. Le matrimoine littéraire en Bretagne compte plus de 170 auteures d’hier et d’aujourd’hui. Leurs écritures sont singulières comme leurs destins de femmes mais leurs œuvres sont universelles. Elles tissent ensemble un territoire littéraire en mouvement entre la Bretagne et l’ailleurs.
Elles sont romancières, nouvellistes, poètes, essayistes, historiennes, philosophes, géographes, scientifiques, écrivaines & voyageuses, auteures jeunesse, graphistes…Et, depuis 1801, proposent leur vision du monde à travers leurs écrits.
En 1801, Fanny Raoul rédige un essai intitulé Opinion d’une femme sur les femmes dans lequel notamment, elle affirme :
« Il importe donc de changer le sort des femmes, et de les sortir du néant où l’opinion les replonge ; je dis même que la réforme d’un peuple doit commencer par elles, et que le législateur n’aura rien fait d’utile et de permanent, s’il ne les rend garants de la constitution nouvelle ».
In Fanny Raoul, Opinion d’une femme sur les femmes, Éditions Le passager clandestin, Paris, 2011, P.56
En ces temps post-révolutionnaires, la femme prend la plume et souhaite contribuer à construire cette société en devenir.
En 2011, deux siècle plus tard, Geneviève Fraisse réédite ce texte de la jeune saint-politaine aux éditions du Passager Clandestin parce qu’il est toujours pertinent.
En 1823, Madame de Duras, née à Brest, édite trois nouvelles aujourd’hui parues en collection folio classique : Ourika. Édouard. Olivier ou le secret. Marc Fumaroli écrit dans sa préface :
« Le lecteur trouvera réunis pour la première fois dans ce volume, les trois romans-nouvelles achevés qui ont suffi à la ranger – Claire de Duras -, pour ses contemporains de la Restauration et pour ses admirateurs depuis, dans la lignée des romancières de génie, inaugurée dans notre langue, au XVe siècle, par Christine de Pisan, poursuivie au XVIe par Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, illustrée aux deux siècles suivants par la comtesse de Lafayette et la marquise de Tencin, et poursuivie au XIXe siècle par Mme de Staël et Georges Sand, au XXe par Colette et Françoise Sagan ».
En 1927, Marie Lefranc, auteure majeure née dans le Morbihan, reçoit le Prix Femina pour son roman Grand Louis l’innocent. Elle écrit avec puissance et sensualité une nature en mouvement dans laquelle se fondent ses personnages. Ses œuvres sensibles se déroulent entre la Bretagne et le Canada.
« C’était la lande qui se personnifiait ainsi dans le rôdeur invisible. C’était la peur accumulée au fond de ses veines, depuis tant de soirs, qui maintenant prenait cette forme. Elle se sentit paralysée de tous les membres, dans le tombeau de pierre de la maison, et cette peur seule vivait en elle. On faisait le tour des fenêtres, on essayait chaque volet l’un après l’autre. Un souffle passait par les fentes. Mille mains se plaquaient sur les murs. Une lenteur prudente et féline commandait aux mouvements de l’inconnu. Il s’arrêta à la porte, l’ébranla doucement, tourna la poignée, tâta la serrure et les gonds. Puis le silence se fit. On ne bougeait plus. Ève ralluma la lampe. La bête de la peur gisait à ses pieds. La jungle blanche, inspiratrice d’énergie, avait vaincu. La lande matée reculait vers la mer. À pas un peu rigides, elle alla à la porte, tourna d’un seul mouvement la clé. La lumière tomba sur une haute silhouette. L’homme n’eut pas un geste de recul. Ses bras pendaient à ses côtés. La lande encadrait un portrait immobile. »
In Marie Lefranc, Grand-Louis l’innocent, Coll.Liv’classic, Liv’éditions, Le Faouët, 2005,
Chapitre II, p.13
En 1931, Jeanne Nabert de Pont-Croix reçoit le Prix du premier roman pour Le cavalier de la mer, texte jubilatoire campé en Bretagne à l’époque de l’émergence de la IIIème république.
« Mme Lamy rongeait silencieusement son frein. Elle avait perdu. On attela les chevaux pour le retour qui fut mélancolique…Saintes regardait par la portière disparaître la baie des Trépassés que nous laissions aux fantômes et aux rêves déçus. Les ajoncs nains s’élevèrent à mesure qu’on s’éloignait de la mer ; les pins, d’abord solitaires dans la campagne nocturne, se préssèrent au-delà des landes, en sombres massifs où le vent du soir s’exerçait déjà aux hurlements des mois noirs ; les maisons isolées, puis les premiers villages, où la brume sentait la soupe de poisson, se dressèrent au bord de la route. Nous ne fûmes bientôt plus qu’une voiture d’ombres cahottées dans les ténèbres, et croyant les invités, le cocher, les chevaux, tout l’univers endormis, j’allais m’assoupir à mon tour, quand j’entendis doucement tinter contre ma robe le chapelet de Sainte. »
In Jeanne Nabert, LE CAVALIER DE LA MER, éditions Coop Breizh, Spézet,
2009, 318 pages, P.83
Ces auteures en Bretagne font aussi œuvre de mémoire d’une époque, de manières de vivre, d’un lieu. Ainsi, Anne de Tourville, née à Bais en 1910, primée par le Prix Femina en 1951 pour Jabadao, roman fantastique inscrit dans le monde rural en Ille-et-Vilaine.
Et aussi, Odette du Puigaudeau, ethnologue originaire de Saint-Nazaire, qui sillonne les îles bretonnes dans les années 1920. En 1944, elle publie Grandeur des îles, succession de nouvelles ancrées à Groix, Sein, Molène ou encore Ouessant.
« Il n’y a plus personne à Port-Tudy où les grands bateaux a demi désarmés, blottis derrière les môles sous la garde des mousses, se cognent en geignant. Tous les volets sont clos. Personne non plus dans la lande, au creux des chemins. La tempête est seule reine de la terre déserte et de l’eau déchaînée, une reine ivre qui mène sa bacchanale avec des cris sauvages. Près du bourg, à mi-côte, une maison vieille encore, solitaire. Depuis des années, les menaces du vent ne l’effraient plus. La découpe de son volet pose tranquillement un petit coeur de lumière au milieu de la route. C’est l’auberge accueillante où j’ai coutume de reprendre contact avec ceux de la terre, et qui est comme le prolongement de mon bateau. Nous sommes là, face à face, le Lion-de-Mer et moi, les coudes à la table du milieu, les poings aux joues. »
In Odette du Puigaudeau, Grandeur des îles, PBP, Éditions Payot-Rivages, Paris
2004, 232 pages. Édition originale : Julliard, 1946. Extrait : Groix – IV – La fille courageuse, p.142
Dans le cadre de notre manifestation estivale, Bretagne, j’écris ton nom, la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne crée des lectures inédites composées d’extraits des œuvres de ces auteures d’hier et d’aujourd’hui. Ces escales littéraires nous offrent une mosaïque de voix et de talents pour un voyage en littérature animé par la comédienne Camille Kerdellant, accompagnée cette année par le musicien Alain Philippe.
En 2015, les paysages étaient à l’honneur à travers les œuvres de Nelly Alard, Anne Bihan, Rachel Bouvet, Heather Dohollau, Angèle Jacq,Fabienne Juhel, Marie Le Drian, Marie Lefranc, Marie Le Gall,Laure Morali, Jeanne Nabert et Odette du Puigaudeau.
En 2016, les Destins de femmes vous seront contés à travers l’écriture de Nina Bouraoui, Nathalie de Broc, Hélène Cadou, Anita Conti, Madame de Duras, Albane Gellé, Marie Lefranc, Anne Pollier, Fanny Raoul, Marie Sizun etCaroline Troin.
Ce travail de recherche, d’inventaire et de médiation est mené par Gaëlle Pairel dans le cadre de la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne en collaboration avec les partenaires en Région dont la Direction Régionale aux Droits des femmes et à l’égalité, la DRAC & le Conseil régional de Bretagne.