Archive: Août 2020

Lettre à un ami libraire

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Cher Marc

Les libraires de la Fédération des cafés-librairies de Bretagne
te saluent avec amitié et te témoignent leur profond chagrin.
Ami libraire, fraternel et engagé, tu as, avec Katita, créé un lieu
plein de vie, de sens, de chaleur humaine.

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L’Autre Rive
où nous passions le temps d’un verre, d’un repas – ah ! ce cake à l’andouille si emblématique d’une carte gourmande, locale et engageante – , d’une balade contée en forêt, d’une rencontre littéraire, d’un échange autour d’un livre. A chaque fois, nous repartions surpris d’être restés autant de temps dans votre café-librairie, tes coups de cœur à lire sous le bras : Un essai d’Hervé Kempf ou de Fabrice Nicolino, le dernier roman d’Hervé Bellec, la BD d’Inès Léraud, ou ce fameux brûlot : internet ou le retour de la bougie d’Hervé Krief que tu défendais ardemment.

Tu aimais aussi la botanique et la poésie jusqu’à fonder Les possibles, très beau Festival qui essaime la poésie dans les Monts d’Arrée, Festival créé avec Alain Rebours et Isabelle Sauvage des éditions Isabelle Sauvage.

L’histoire de l’Autre Rive est aussi celles d’amitiés tissées au fil de ces quinze années d’activité. Tu aimais les gens et tu les accueillais vraiment, avec bienveillance, humour & ce regard vif et espiègle qui te caractérise.

L’Autre Rive ferme ses portes et nous restons sidérés de ce départ précipité. Mais, l’esprit de liberté que tu as distillé perdurera et nous serons heureux-ses de t’invoquer, de t’évoquer, de t’associer à l’action d’une association dont tu es, dont vous êtes les co-fondateurs.

Dans le cadre de l’Autre Rive et des manifestations de la Fédération, nous avons organisé moult événements littéraires, cinématographiques qui proposaient un regard salutaire sur le monde. Sont venus notamemnt  : Alain & Désirée Frappier, Hervé Kempf, Nicole et Félix Le Garrec, Gérard Mordillat, Fabrice Nicolino, Inès Léraud, Marie-Monique Robin, Titi Robin...

Une programmation qui faisait de la réflexion collective,
l’élément essentiel d’un mouvement en cours et à venir.

Un monde meilleur à construire ensemble !

Cher Marc, tu nous manques,
Chère Katita, nous sommes là.

Merci pour cette Autre Rive
lieu de vie à nul autre pareil
que nous sommes heureux-ses d’avoir côtoyé

Pour toi, pour vous,
ces quelques mots de Birago Diop*

Ecoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.

 

POÈME INDIEN

Dominique Guillopé – La Dame Blanche – Port-Louis – 56

Quand je ne serai plus là, relâchez-moi. Laissez moi partir.
J’ai tellement de choses à faire et à voir.
Ne pleurez pas en pensant à moi.

Soyez reconnaissant pour les belles années passées ensemble.
Je vous ai donné mon amour, mon amitié,
vous pouvez seulement deviner le bonheur que vous m’avez apporté.
Je vous remercie pour tout l’amour que chacun m’a donné.

Maintenant il est temps pour moi de voyager seul.
Pour un court moment vous pouvez avoir de la peine,
mais que la confiance vous apporte réconfort et consolation.
Nous serons séparés pour quelques temps.
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur.

Je ne suis pas loin et la vie continue.
Si vous avez besoin de moi, appeler moi et je viendrai.
Même si vous ne pouvez pas me voir ou me toucher, je serai là.

Et si vous écoutez votre cœur,
vous éprouverez clairement la douceur de l’amour que j’apporterai.
Et quand il sera temps pour vous de partir,
je serais là pour vous accueillir…

…N’allez pas sur ma tombe pour pleurer,
je ne serai pas là,
je ne dors pas.

Je suis les mille vents qui soufflent,
Je suis le scintillement des cristaux de neige.
Je suis la lumière qui traverse les champs de blé,
la douce pluie d’automne.
Je suis l’éveil des oiseaux dans le calme du matin,
l’étoile qui brille dans la nuit.

N’allez pas sur ma tombe pour pleurer.
Je ne suis pas là.
Je ne suis pas mort.

 

*Extrait de Souffles, p.64, recueil Leurres et lueurs, Présence Africaine, Poésie.

Métropoèmes

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Maram al-Masri

Bruno Doucey – 2020 – 16 euros

Victor Hugo

viens avec moi dans le métro
déshabille-nous jusqu’à l’os
habille-nous d’un poème
regarde autour de toi
vois la beauté
vois la laideur
écoute les cœurs

Viens avec moi
apporte avec toi, poésie
l’imagination et le rêve
dont nous avons tant besoin.*

La poésie de Maram al Masri s’empare du métro, de ce peuple de l’ombre qui chemine de couloirs en wagons, de ces vies qui se croisent sans se rencontrer. Sauf ces regards fugaces d’un quai à l’autre, sauf ce conducteur qui ouvre sa porte, sauf ces éphémères instants d’humanité.
Ce voyage nous emporte d’une ligne de métro à l’autre et nous invite à la rencontre en compagnie de cette grande poétesse syrienne qui sait tendre la main, regarder la solitude et la misère, éprouve de la tristesse et de la joie face à tous ses semblables dont les destins se côtoient le temps d’un trajet partagé.

Nation

Le même wagon
nous transporte
Chaque minute affluent de nouveaux corps
qui maquillent leurs secrets et leurs odeurs
comme une femme chauve qui enfile une perruque

Il y a celui qui n’a pas dormi
Il y a celui qui vient de sortir de son lit
Il y a celui qui a encore des baisers accrochés à ses lèvres
et celui qui est en train de les donner
Il y a celui qui était au travail et celui qui y va
celui qui a quitté un être cher et celui qui est quitté
celui qui pleure et celui qui rit
celui qui mange
et celui qui trouve

que la mer

est encore loin.**

 

Avec Maram al Masri, il y a aussi les yeux qui fuient la réalité quand le trop plein de douleurs a fait son œuvre. Mais, la force de sa poésie, sa capacité à créer les possibles, ses mots ciselés ouvrent les horizons les plus obscurs et les plus souterrains :

Saint-Germain-des-Prés

Ne laisse pas tes rêves
dans ton lit
L’obscurité les mangera
comme les tomates
que les mères syriennes
mettent à sécher sur les toits.

Ne chausse pas tes pieds
pour descendre dans la rue
Chausse les pieds de tes rêves
eux seuls peuvent te faire marcher
danser
et même

voler.***

 

Un recueil indispensable !
à lire & à partager au fil des stations
entre poèmes de Maram al Masri
& poètes invité(e)s

Il sait peut-être,
le nuage,
de quel pays il vient…****

*Extrait poème p.135 – 136, Victor Hugo, ligne 2 direction Porte Dauphine, Métropoèmes
**p.55, Nation, Métropoèmes
***p.47, Saint-Germain-des-Prés, Métropoèmes
****p.68, Darciella Rwabahenda Keza, 6 ans, Grand Prix Poésie RATP 2018, Métropoèmes

Poésie en duo

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Rendez-vous à l’écume…
Vendredi 21 août 2020 à 18h

All-focus

pour une rencontre-lectures poétique
à deux voix en présence d’
Alexis Gloaguen & d’Yvon Le Men

autour de leurs œuvres respectives, de leurs regards poétiques sur le monde & ses îles.
Amis dans la vie – l’un repasse, l’autre cuisine – ils partagent ensemble des moments de vie

Au loin
la façade de Terre-Neuve

tout près
Alexis repasse

ici
je prépare le repas
en regardant par la fenêtre et entre les flocons

la façade de Terre-Neuve*

Nous désirions depuis longtemps croiser ces deux regards singuliers nourris d’enfances, de rencontres, de révoltes, d’humour et de liberté.

Parmi les silhouettes accoudées aux comptoirs du petit matin,
il en est une qui réinvente un monde.**

Des Rues de mercure (éditions Diabase) aux écrits de nature, tome 3 (éditions Maurice Nadeau) d’Alexis Gloaguen, de la trilogie poétique Les continents sont des radeaux perdus (éditions Bruno Doucey) Aux marches de Bretagne (éditions Dialogues) d’Yvon Le Men, nous vous invitons à arpenter les chemins de poésie de ces deux auteurs généreux, inspirés et inspirants. Une rencontre-lectures à deux voix pour – peut-être – réinventer un monde.

*Extrait de Saint Pierre sans Miquelon sous le nuage islandais (Poème stabilisé) in Un cri fendu en mille, les continents sont des radeaux perdus, 3, éditions Bruno Doucey.
**Voies libres , extrait publié dans l’anthologie 2019 : la beauté, éphéméride poétique pour chanter la vie, éditions Bruno Doucey.

Information & réservation :
L’écume…
3 place de l’Eglise 56590 Groix
Tél.02 97 56 42 67 – Mél. lecume-groix@orange.fr

A nos père.2

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Dima Abdallah
Mauvaises herbes

Sabine Wespieser éditeur – 2020 – 20 euros

Pour engager la conversation, il me montre souvent telle ou telle plante
en pot sur le balcon

et m’apprend le nom de chacune d’elles.
Il frotte sa main sur l’origan ou la marjolaine et me fait sentir ses doigts.

Au cœur d’un Beyrouth dévasté par la guerre civile, un père et une fille se racontent mutuellement, pudiquement. Entre bombardements & déménagements, le père écrivain et la petite fille se réfugient sur des balcons où les plantes aromatiques nourrissent des instants suspendus et partagés. Jusqu’à la séparation lorsque le père décide de rester dans son pays mais laisse partir femme et enfants vers Paris. Pour fuir le chaos du Liban et le désespoir du père impuissant face à l’absurde et au danger. Au fil du roman, ce dialogue silencieux opère avec force et émotion & la petite fille devenue une jeune femme est bouleversante. Telle une funambule, elle s’élance et s’égare avant de poser son sac à dos et de faire la paix avec cette vie d’exil.

Je ne sais plus ni quand ni comment c’est arrivé. Je ne sais plus ni quand ni comment l’oxygène a réussi à se frayer un chemin jusqu’au fond de mes poumons.

Cette histoire de l’oubli – celui d’un pays, d’une langue notamment – est aussi celle des rendez-vous manqués, de cette part d’invisible qui nous lie à l’autre, à la vie, par les mains réunies. C’est encore l’histoire d’une enfant qui, comme les Mauvaises herbes, creuse son sillon malgré l’adversité & trouve sa voie vaille que vaille. Au fur et à mesure que le destin singulier de cette famille se déploie, l’écriture de Dima Abdallah évolue. Elle devient très vite ample et fluide et nous offre un roman remarquable, plein de vie et d’espoir. 

Un premier opus puissant, émouvant
à découvrir lors de cette rentrée littéraire 2020

 

 

A nos pères.1

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Anne Pauly
Avant que j’oublie

 

Verdier – 2019 – 14 euros

Je pense seulement 
à mes parents
crépuscule d’automne*

Une histoire d’amour entre un père et une fille, une histoire silencieuse, pudique, un amour qui se niche dans le quotidien.

D’accord ma doucine, je t’aime, hein, le taxi arrive, tu fais bien attention,
tu fermes ta porte et t’éteins bien ton gaz.
C’est ça, j’ai pensé, j’éteindrai bien mon gaz**.

Un amour agacé aussi pour ce père farfelu, dans l’attente permanente de sa fille, violent & alcoolique autrefois, mangeur de BN à la vanille et collectionneur de piles à ses heures perdues. Un père désormais disparu et dont la narratrice regrette de ne pas avoir saisi l’ampleur de la solitude. Au gré du rangement de la maison, se dessine le portrait d’un homme qui s’ajoute à celui du père. Les témoignages de ses ami(e)s d’enfance – dont la lettre bouleversante de Juliette – évoquent un colosse délicat, cultivé et protecteur. Un homme abîmé par la vie mais en quête de spiritualité, de beauté simple et d’instants partagés. Avec émotion et drôlerie, la narratrice raconte la perte entre situations cocasses et moments de grande fragilité où le sens s’échappe de la réalité, où le manque s’insinue partout, où la présence de l’autre s’évanouit peu à peu. Jusqu’à ses signes qui tissent un lien au-delà de l’absence, ces signes qui réconcilient & racontent une histoire familiale dans laquelle chacun-e- se retrouve.

Avant que j’oublie raconte un deuil & ce qu’il génère de reconstruction de soi et de l’autre – celui que l’on a perdu et qui se découvre dans toute sa complexité. Anne Pauly offre ici un roman plein de vie, d’énergie, de vérité. A lire absolument.

 

Dans le cadre de la dixième édition de notre manifestation automnale
Libres en Littérature
Le Bel Aujourd’hui accueille Anne Pauly
lors d’une rencontre-lectures
le jeudi 5 novembre 2020 à 20h30

 

*p.120 in Avant que j’oublie
**p.43 in Avant que j’oublie

Photographie : DR Smith 2019