Jocelyne Laâbi
Hérétiques
Éd
itions de la Différence, Paris, 2013

 

 

Durant le long voyage vers Al-Ahsa, il avait essayé de glaner quelques informations auprès des pélerins, de fieffés imbéciles qui l’avaient vite excédé. Ils accueillaient comme vérité révélée les rumeurs les plus invraisemblables et lui avaient raconté des choses extravagantes : par exemple, que les Qarmates n’avaient pas de chef, ou plutôt qu’ils en avaient plusieurs qui dirigeaient leur « état » ensemble, dans la concorde et l’harmonie. Où avait-on jamais vu des hommes gouverner ensemble sans s’abreuver d’injures, comploter l’un contre l’autre ou se haïr ?
Où qu’ils soient, les hommes ont besoin d’un chef.

 

Hérétiques nous plonge dans le mouvement des Qarmates qui aboutit à l’émergence d’un état dans le Sud de L’Irak au IX et Xème siècles. Un état dont les idées novatrices –  gouvernance partagée, égalité entre les hommes et les femmes, monogamie, communauté des biens et répartition des richesses – sont aussi éminemment subversives.
A travers les destins de Walad, l’enseignant, et Aboulfath, le philosophe, Jocelyne Laâbi donne corps à cette part d’Histoire qui nous mène de Bagdad à l’île d’Owal. De caravanes au « palais » d’Abou Saïd, Walad, Aboulfath, Rabab, Abou Ali se découvrent amis, amants, père et fils, se frottent à la violence des temps, à la cupidité des hommes. Hommes et femmes tentent de reprendre la main sur leurs vies autrefois brisées en nourrissant cette aventure collective de leurs rêves, de leurs douleurs cachées. Ces destins singuliers nous font entrer dans cette formidable utopie devenue réalité sans en nier les dérives notamment guerrières. L’oralité de l’écriture de Jocelyne Laâbi donne à ce roman historique des allures de conte à la fois cruel et plein d’humanité(s). Hérétiques est une épopée passionnante qui entre fortement en résonance avec le monde actuel.

Gaëlle Pairel, Fédération des Cafés-librairies de Bretagne

*Crédit photo Jocelyne Laâbi : A.L