Jocelyne Laâbi
La Liqueur d’aloès
Éditions de la Différence, Paris, 2015

 

 

Etais-je préparée ? Je connaissais comme lui les risques que son engagement politique nous faisait prendre. On a beau savoir, quand cela vous tombe dessus c’est une tout autre affaire,
c’est un monde qui s’écroule. Et mon monde s’écroula ce jour-là
.

Elle, petite fille de 7 ans née à Lyon, traverse la Méditerranée car sa famille s’installe à Meknès au Maroc. Nous sommes en 1950 et cette enfant aux longues nattes et aux ongles rongés n’est autre que Jocelyne Laâbi, la narratrice. Au Maroc, elle apprend la lumière, le secret de famille – qui révélé l’éloignera de son père aimé – et rencontre la société marocaine. Elle éprouve sa liberté, écoute du jazz, suit des cours d’art dramatique et rencontre Abdellatif Laâbi qu’elle épouse en 1964. Le rythme du quotidien s’accélère entre la naissance des enfants et celle de la revue Souffles en 1966. Créée par des écrivains, plasticiens, intellectuels marocains, dirigée par son mari, la revue poétique heurte, par ses partis-pris esthétiques et ses engagements politiques, un pouvoir marocain arbitraire et archaïque. Tout bascule lorsque son époux Abellatif Laâbi est arrêté en 1972 puis emprisonné pendant huit années. Huit années de combat(s) qui sont racontées dans ce récit plein de vie, d’émotion et d’engagements.

Un jour, tu m’as ordonné la joie. J’ai compris que c’était nécessaire, que c’était vrai, vivant, et que nous tenions notre bonheur dans nos mains. Maintenant je suis heureuse et je sais l’être, je sais le reconnaître.

Jocelyne Laâbi retrace son parcours avec une sensibilité et une émotion si justes qu’elle nous donne le sentiment d’être à ses côtés lorsqu’elle découvre le Maroc, lorsqu’elle parle de son père, lorsqu’elle évoque les états d’âme de son adolescence, sa trajectoire de femme. Et puis vient la rupture, la vie sans l’être aimé, la peur de le perdre dans ces prisons marocaines à la sinistre réputation. Alors elle se bat sans rien cacher de ses découragements, de ses énervements, de ses élans, de son amour, de cette indépendance acquise dans ses années 70. Ses lettres écrites à son mari sont belles et bouleversantes et viennent ponctuer le récit de mots poétiques, profonds, plein d’élans et d’envies. Ces échanges épistolaires révèlent son énergie à construire leur amour et leur famille malgré la séparation, à soutenir son mari et leurs ami(e)s, à poursuivre le combat, à travailler et à vivre aussi… entre tout ça. Cette intimité partagée avec pudeur, humour, vérité nous capte et donne à ce récit une dimension universelle. La Liqueur d’aloès est un très beau portrait de femme et une ode à la liberté, à la résistance.