Pereira prétend
Pierre-Henry Gomont
d’après le roman d’Antonio Tabucchi
éditions Sarbacane – 160 pages – 24 euros

Je vis seul, j’aime être seul et je ne suis le camarade de personne

 

tabucchi

 

Doutor Pereira, homme au corps lourd et à l’esprit anesthésié, vit en suspens depuis que son épouse est décédée prématurément. Directeur des pages culturelles du Lisboa, il se nourrit d’omelettes, de dialogues imaginaires, de chroniques littéraires et de traductions d’auteurs français du XIXème siècle. La mort l’obsède. Nous sommes à Lisbonne dans les premières années du régime autoritaire de Salazar. Aux frontières du Portugal, se déroule la guerre civile espagnole et partout en Europe, le bruit des bottes se fait entendre. De tout cela, Pereira prétend ne pas être concerné…jusqu’à sa rencontre avec un jeune homme : Monteiro Rossi. De malentendus existentiels en nécrologies littéraires subversives, Monteiro Rossi amène notre héros à s’éloigner de ses idées morbides, à sortir de son apathie pour choisir le camp de l’amitié, de la vérité et de l’engagement.

Ce roman graphique est une superbe adaptation de cet hymne à la vie qu’incarne Pereira prétend. Pierre-Henry Gomont met en scène le Doutor Pereira, ses souvenirs et ses tourments existentiels avec inventivité, profondeur et humour. Quelques traits seulement composent un visage très expressif qui révèle l’humeur et la sensibilité nostalgique du Doutor. Sa silhouette massive se meut dans un Lisbonne lumineux tout en ocre jaune et terre de sienne le jour quand la nuit se fait bleu-vert. Le dessin riche, minutieux, coloré nous plonge dans les rues lisboètes, ses tramways mythiques, ses entrées d’immeubles & les heures sombres du Portugal et de l’Europe. Les différentes narrations se croisent : pensées intérieures, monologues et dialogues rendent compte des silences, des tensions, des renoncements, des combats qui agitent le Portugal sous le régime salazariste. Un roman intense, profondément humaniste qui nous conte une métamorphose, celle d’un homme qui choisit de vivre et de vivre librement.

Gaëlle Pairel, coordinatrice de la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne