Jonas Gardell

N’essuie jamais de larmes sans gants

Éditions Gaïa, 590 pages – 24 Euros

En librairie dès le 09 septembre 2016

nessuiejamais

Cette journée d’août s’en est allée sans un nuage dans le ciel, mais à travers les fenêtres condamnées du service d’isolement l’été ne pénètre pas. L’homme dans le lit est terriblement amaigri et marqué par un sarcome de Kaposi au stade avancé. Il n’a plus que quelques jours à vivre. Depuis quelque temps il a presque cessé de parler. Il reste alité, apathique, mutique. Il lutte. Parfois il pleure. De douleur ou de chagrin, personne ne le sait. Deux femmes accomplissent leurs tâches en silence dans la chambre dépouillée dont les fenêtres ne sont jamais ouvertes, dont la seule sortie est constituée d’un sas ouvrant directement sur la cour. Elles s’affairent autour du corps dans le lit comme des prêtresses officient autour d’un autel. 

 

Rasmus vient d’avoir son bac et quitte la Suède profonde pour la capitale. À Stockholm, il va pouvoir être enfin lui-même. Loin de ceux qui le traitent de sale pédé. Benjamin est Témoin de Jéhovah et vit dans le prosélytisme et les préceptes religieux inculqués par ses parents. Sa conviction vacille le jour où il frappe à la porte d’un homme qui l’accueille chaleureusement, et lui lance : « Tu le sais, au moins, que tu es homosexuel ? ». « C’était comme une guerre en temps de paix »
Les années ont passé, en France comme en Suède, il est grand temps de transmettre la mémoire de ces années où une génération a été décimée. Sid’amour à mort comme l’a si bien résumé Barbara. Jonas Gardell ne joue dans ce magnifique roman d’aucun suspens, tout est là dès le début, la maladie, la mort qui fauche une jeunesse libre de son corps et son montage littéraire propose, comme un tourbillon, de s’approcher au plus près de notre humanité.
Le roman progresse en allers & retours, on avance, on zoome, on recule pour mieux appréhender le contexte et on est accroché à ces héros amoureux de la vie. L’expérience de la lecture de ce roman fait penser au plaisir de suivre une série où petit à petit les personnages nous sont dévoilés, évoluent, on les perd, on les retrouve, certains disparaissent et le fleuve de leur vie se nourrit pour nous abreuver d’une joie de vivre, malgré tout. Le vœux d’honnêteté et d’hommage de Jonas Gardell à tous ces disparus qui furent avant tout fiers de leur liberté est extrêmement touchant à lire. Du romanesque pur.

L’équipe des Bien-aimés